LE CONTACT PHYSIQUE, UNE PRATIQUE SOCIALE…
Je me plaisais surtout à observer avec une incompréhensible fascination les poignées de mains vigoureuses données çà et là ainsi que les chaleureuses embrassades et accolades accompagnant les vœux de bonheur qu’échangeaient les gens autour de moi. Je m’interrogeais régulièrement sur les raisons de telles pratiques. Pourquoi chacun de ces messieurs ressentaient-ils le besoin de faire des baisers sur les joues des dames ? Que peut-il bien leur passer par la tête, ces gens qui, sans forcément se connaître, échangeaient de légers cognements de fronts - en s’écriant gaiement « bonne année… », ou encore « je vous souhaite les vœux les meilleurs » ? Pourquoi, somme toute, les uns et les autres éprouvaient-ils le besoin d’entrer en contact, physiquement ?
…QUI AMÉLIORE LA COMMUNICATION AVEC LES AUTRES
Si, comme moi, vous vous êtes déjà posé ce genre de questions, eh bien, sachez que les accolades, les baisers ou les embrassades font partie de ce que Marcel Mauss appelle les techniques du corps. Variant dans leurs formes selon le milieu social dans lequel elles sont pratiquées, ces techniques du corps représentent une forme de communication non-verbale précédant voire se substituant à l’intentionnalité du discours verbal.
Sans ces techniques du corps, les formes de communications orales auraient une efficacité considérablement réduite. Qu’il serait froid et impertinent, en effet, un « joyeux Noël », prononcé sans être accompagné de câlins ou de poignées de mains.
Surtout, si celui-ci venait d’un proche. À l’inverse, peu de personnes refuseraient d’échanger une accolade avec un alter égo, même si ce dernier était un parfait inconnu.
Cela s’explique par le fait que les techniques du corps constituent de véritables vecteurs d’émotions. En effet, contrairement aux mots prononcés lors d’une communication, les techniques du corps (accolades, baisers, etc.) ne trouvent pas leur raison d’être dans la motivation de communiquer un concept, mais bien dans l’émotion ressentie à propos du concept.
Traduction, lorsqu’une personne vous présente ses vœux, son intention – en vous embrassant – n’est pas simplement de vous présenter lesdits vœux, mais surtout de vous faire savoir la joie qu’elle éprouve à le faire. C’est donc en toute logique qu’une accolade sera (toujours) considérée comme plus honnête et plus chaleureuse que des dizaines de mots. D’ailleurs, saluer ou présenter ses vœux à quelqu’un, sans opter pour le contact physique, ferait ressembler l’auteur d’une telle action à un naufragé qui remercie son sauveteur en fronçant les sourcils.
On pourrait toutefois – et à juste titre d’ailleurs – noter que dans certains cas les techniques du corps ne relèveraient que de remarquables mises en scène pratiquées dans le but de masquer des conflits latents.
Comment, en effet, être sûr qu’une embrassade effectuée n’est rien d’autre qu’un geste hypocrite de celui avec qui nous l’avons échangée ? N’est-ce pas par un baiser que Jésus fut trahi par l’un de ses proches ? Légitimes interrogations qui, cependant, ne remettent aucunement en cause les fonctions sociales des techniques du corps. Sinon, ce serait comme fustiger l’existence de l’outil informatique à cause de l’usage illicite qu’en font les cybercriminels.
Les embrassades et autres accolades sont des produits sociaux auxquels les individus sont socialisés, auxquels ils s’adaptent et manipulent au gré de leur éducation, de leur expérience de vie ou de leurs objectifs.
Serge Gohou (sociologue)