Pendant la période coloniale, précisément en 1930, Hector, le personnage principal de ce roman, rejoint son père en Côte d’Ivoire. Il quitte ses terres marseillaises, embarque dans un paquebot qui assure la traversée maritime entre Marseille, le Maroc et l’Afrique noire.
Les drapeaux arrimés aux mâts du bateau claquaient dans le mistral, qui soufflait en rafales sèches, et la vapeur blanche qu’exhalaient les deux grosses cheminées noires, se dissolvait instantanément dans le ciel azur indiquant brièvement le sens du vent…
Hector retrouve son père, Anatole, au wharf de Grand- Bassam après cinq années d’absence. Il avait décidé de venir prêter main forte à son père qui avait en projet de fabriquer du savon. Il venait d’acquérir un superbe terrain dans la forêt de Cocody, au bord de la lagune et y avait déjà fait construire une petite case. Il avait également décidé d’y mener son activité de fabrique de savon.
Il était conscient du développement du pays, de son potentiel, et voulait anticiper sur les besoins des populations à acquérir du savon pour leur hygiène corporelle. Il venait de Marseille, et dans sa famille il y avait eu des savonniers.
Il suffit de mélanger de la soude caustique avec un corps gras et de faire bouillir le tout (p. 31). Et voilà comment, avec un seul chaudron, ils démarrèrent leur activité. Installés dans une simple case en dur habillée d’un toit de tôle, la maison d’Anatole, le père d’Hector, n’avait rien de confortable : Il n’y avait ni eau courante, ni l’électricité, il fallait soit faire bouillir l’eau puisée dans le marigot, soit utiliser une bouteille filtrante en grès pour pouvoir la boire et éviter d’attraper la bilharziose et le choléra (p. 33).
Malgré des conditions de vie et de travail extrêmement difficiles, l’activité d’Hector et de son père va connaître un franc succès. Plusieurs chaudrons vont être construits, augmentant ainsi leur capacité de production.
Le savon de la forêt montre comment, parti de rien, on peut bâtir un empire par la seule force de la volonté et du travail.
Cet ouvrage hautement historique et culturel nous permet de revisiter un pan important de notre histoire coloniale. On y voit, progressivement, un pays qui se bâtit : le chemin de fer, le canal de Vridi, le port, les routes et les autoroutes… Bref, les prémices d’une ville en devenir. C’est aussi et surtout l’histoire d’une famille qui s’est profondément attachée aux autochtones. Avec qui elle vivait en parfaite symbiose.
Lorsqu’Anatole mourut, il fut enterré au cimetière d’Adjamé : Hector eut la certitude qu’ils se retrouveraient un jour, tôt ou tard, côte à côte dans cette terre pour laquelle ils avaient tout quitté et qui leur avait tant donné (p. 122).
L’intrigue ici est unique, elle présente en effet l’histoire d’un personnage autour duquel se grefferont progressivement d’autres personnages. Le narrateur est par contre invisible, il est totalement extérieur à l’histoire et n’apparait jamais.
La lecture de cet ouvrage est agréable et accessible à tous. Isabelle Rochet est interprète de conférence, diplômée de l’ISIT (Institut Supérieur d’Interprétation et de Traduction) à Paris et du Monterey Institute of International Studies aux USA. Elle a grandi en Côte d’Ivoire. Le savon de la forêt est son deuxième roman après La rescapée de Cocody. Avec Le savon de la forêt, Isabelle Rochet est la lauréate de la 12e édition du Prix Ivoire pour la Littérature Africaine d’Expression Francophone.
Isabelle Kassi Fofana (directrice de Mayassa Editions)
Le savon de la forêt, roman,
Éditions L’Harmattan, 2019, 210 pages