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Épopée d’une haute lignée de Assita Sidibé ou l’expression du verbe dans toute sa splendeur

« La parole chez les griots relève d’une sacralité ». Dans Épopée d’une haute lignée, Assita Sidibé nous plonge en eau profonde au cœur de la tradition Mandé.

il y a 7 mois

La parole parait si capitale pour les mandékaw que pour la donner il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche, comme dit l’adage. Sa parole, l’auteure la prête à un griot de la lignée des Diabaté, « arrière-petit-fils de konon kan ba, le griot des griots », se présente-t- il lui-même.

Le narrateur est médecin. Il raconte l’histoire de Syrah Koné. Belle comme un coucher de soleil !

Elle épouse Aboubakar Sidibé. Le cortège d’enthousiasme qui accompagne le mariage s’estompe bien vite. Car Syrah ne parvient pas à donner d’héritier aux Sidibé. Le chagrin de la jeune mariée s’étirera sur dix interminables années.

Elle perd tous ses soutiens. Les sœurs de son conjoint lui tournent le dos. Elles retournent leur veste et se mettent du côté des commères du village.

Syrah devient la risée de tous. Sa belle-famille ne la considère plus comme une femme. Alors, on décide de donner une femme digne du nom à son mari. On lui impose une première coépouse. Mais celle-ci quitte bien vite le foyer, car elle aussi ne parvient pas à enfanter.

Une autre du nom de Bibata arrive. Et sa venue symbolise peut-être une bénédiction pour Syrah, car, contre toute attente, elle finit par tomber enceinte. C’est une joie immense dans la famille, notamment pour son homme qui lui a toujours témoigné un soutien indéfectible.

Au bout de mille souffrances, elle met au monde une fille : Aïssatou. Mais, comme une contrepartie à cet enfant tant espéré, la mort lui arrache l’affection de sa douce moitié trois ans plus tard. Syrah finit par épouser le frère ainé de son défunt mari.

Sa fille est belle et intelligente. Elle grandit, épouse un homme beau et sage du nom de Malick. La famille jubile. Mais le bonheur ne dure pas. Aïssatou rencontre les mêmes problèmes que sa mère : elle ne peut enfanter. De plus, elle souffre d’une maladie de l’utérus. Et c’est justement Diabaté, le narrateur, son ami et médecin, qui doit l’opérer. L’opération va-t-elle bien se passer ? La fille de Syrah a peur, mais elle doit prendre son destin en main.

Dans cet ouvrage, Assita Sidibé joue avec les codes de la langue. D’abord, elle fait cas du jeu des alliances entre peuples du Mandé, notamment les Peuls, les Bosso, les Djéli, etc. Puis, elle instruit le lecteur sur la spécificité de chaque peuple.

L’écrivaine ivoirienne multiplie les images ; les figures de rhétorique se donnent la main comme au relais pour peindre avec fougue le tableau de ce récit.

À la page 16, par exemple, l’auteur écrit : « Devant une cour grandement ouverte, sans clôture, sous un préau, fusait une pluie de notes festives ». Plus loin à la page 32 : « Ma parole est pure, ma parole est saine, car je suis Koné. Koné yèrèworo, Koné Kankélén tigui, la langue des Koné ne connait pas le mensonge… »

Entre poésie et griotisme, Assita Sidibé nous emmène à l’orée du jardin de la beauté langagière.

L’écriture est légère comme une plume, délicieuse telle la langue d’un griot. Petit par la taille (66 pages), mais grand par le talent, Épopée d’une haute lignée se lit vite mais vous marque pour longtemps tant il regorge de richesses inépuisables.

Isabelle Kassi Fofana (directrice générale de Massaya Editions)