Si nous voulons comprendre correctement ces passages de la Bible-qui peuvent sembler archaïques-, il faut d’abord nous demander ce que signifie exactement l’offrande de la dîme, et pourquoi elle a été instituée. Nous serons mieux à même de voir si la dîme doit être encore appliquée aujourd’hui dans l’Église.
L’INSTITUTION DE LA DÎME ET L’ORGANISATION DES LÉVITES
Tout d’abord, pourquoi d’après la Bible, l’offrande à l’égard des ministres du culte a-t-elle été instituée, et pourquoi a-t-elle été fixée sous forme de « dîme », c’est-à-dire à hauteur de 10% ?
L’explication en est clairement donnée dans le livre des Nombres. Les prêtres qui exerçaient le culte à l’époque étaient exclusivement issus de la tribu de Lévi. Or, cette tribu ne possédait pas de territoire, et donc par conséquent pas de revenu. C’était là une volonté de Dieu pour que les prêtres soient exclusivement consacrés au Seigneur : « Tu n’auras point d’héritage dans leur pays, il n’y aura pas de part pour toi au milieu d’eux. C’est moi qui serai ta part et ton héritage au milieu des Israélites » (Nb 18, 20).
C’est pour cette raison précise que Dieu demande aux autres tribus de verser la dîme aux lévites : parce que ceux-ci n’avaient pas de revenus qui provenaient de leur terre, et qu’ils rendaient un service à tout le peuple d’Israël : « Voici : aux enfants de Lévi, je donne pour héritage toute dîme perçue en Israël, en échange de leurs services, du service qu’ils font dans la Tente du Rendez-vous » (Nb 18, 21).
QUE DEVIENT L’OBLIGATION DE LA DÎME LORSQUE LES LÉVITES DISPARAISSENT ?
Jésus a respecté l’offrande de la dîme, car l’organisation des tribus d’Israël et des lévites existait encore à son époque. Il a seulement corrigé les pharisiens qui la donnaient avec hypocrisie (Cf. Mt 23, 23 et Lc 18, 11-12). Cependant, après la mort du Christ et la destruction du Temple de Jérusalem, l’organisation des lévites a disparu, ils doivent laisser la place au Christ qui n’a pas voulu être lévite afin de bien montrer qu’il inaugurait un culte nouveau (cf. He 7, 14). Il y a bien un aspect du précepte de la dîme qui demeure dans l’Eglise. Comme l’affirme saint Thomas d’Aquin – docteur commun de l’Eglise : « Le peuple doit pourvoir à l’entretien des ministres du culte divin, qui ont la charge de son salut : de même qu’il doit fournir aux serviteurs du bien commun, princes, soldats, etc., la contribution nécessaire » (Somme théologique, II-II, q. 87, a. 1). Que l’on soit dans l’Ancien ou dans le Nouveau Testament, c’est toujours un devoir de justice que de subvenir aux besoins des ministres du culte.
Par contre, ce qui ne demeure pas dans ce précepte, c’est la hauteur du pourcentage à donner. Le calcul de la dîme des lévites était lié à la répartition de la terre promise, et au fonctionnement des lévites qui avaient interdiction de posséder des terres, et qui étaient au service des onze autres tribus d’Israël. La détermination du pourcentage de cette offrande est désormais fixée par l’autorité de l’Église, puisque c’est elle qui remplace l’organisation des lévites. Et elle peut varier suivant les époques : « L’Église, appréciant l’opportunité des temps et des personnes, pourrait déterminer différemment le pourcentage qu’on doit acquitter » (Somme théologique, II-II, q. 87, a. 1).
Dans certains cas, l’Église peut même estimer que les ministres ne doivent rien imposer comme prélèvement d’argent aux fidèles. Par exemple, si les fidèles d’une région sont trop démunis, ou s’il y a un risque de donner à penser que l’Évangile ainsi que les sacrements de l’Église ne seraient pas un pur don gratuit de la grâce de Dieu, mais devraient être achetés à prix d’argent. C’est la décision que Paul a prise pour l’Église de Corinthe : « En annonçant l’Évangile, j’offre gratuitement l’Évangile, sans user du droit que me confère l’Évangile » (1 Co 9, 18).
… ALORS FAUT-IL PAYER LA DÎME ?
Suivant les diverses époques de l’histoire, l’Église a fixé diversement le pourcentage que les fidèles devaient donner pour subvenir aux ministres du culte. Dans la France du Moyen Age, l’Église a continué à fixer à 10 % l’offrande pour les ministres du culte (à partir du concile de Tour en 567). La dîme a disparu en 1789 et a été remplacée par le paiement d’un salaire pour le clergé par l’état français. Après la séparation de l’Église et de l’Etat en 1905, ce salaire a été remplacé par le « denier du clergé », qui est devenu le « denier du culte ».
En France, cette contribution est un don volontaire de la part des fidèles, il n’y a pas de tarif. Chacun donne en conscience selon ses possibilités (cf. église.catholique.fr). Suivant chaque pays, cette offrande est organisée différemment. En Allemagne ou en Autriche par exemple, le denier est prélevé sous forme d’un impôt. En Côte d’Ivoire, les paroisses fixent ordinairement le denier du culte au salaire d’une journée de travail par an.
Le code de droit canonique réaffirme ce devoir envers l’Église (cf. canon 222, §1), en laissant à chaque Église particulière le soin de fixer ou non le montant. Les fidèles sont donc tenus de subvenir aux besoins de leur Église à travers le denier du culte et les quêtes, mais la dîme entendue comme 10 % du salaire n’est pas obligatoire.
Ceux qui s’appuient sur les versets de l’Ancien Testament pour imposer la dîme le font en les extrayant de leur contexte et de l’ensemble de l’histoire du salut. Nous ne sommes plus sous le régime des lévites et de la loi, mais sous le régime de la grâce et de l’Église.
QUE CHACUN DONNE SELON CE QU’IL A DÉCIDÉ DANS SON COEUR
Ceux qui veulent donner un dixième de leur salaire à l’Église font un geste louable et recommandable aux yeux de Dieu, mais il s’agit là d’une offrande volontaire qui ne saurait en aucun cas être l’objet de pression ou de manipulation. Comme le disait saint Paul à propos d’une collecte : « Que chacun donne selon ce qu’il a décidé dans son coeur, non d’une manière chagrine ou contrainte ; car Dieu aime celui qui donne avec joie » (2 Co 9, 7).
Le passage de Malachie qui menace de malédiction ceux qui ne donnent pas la dîme, se situe à l’époque de l’organisation des lévites, il ne doit pas être sorti de son contexte (Ml 3, 8-9). La menace de malédiction, ainsi que la promesse de bénédiction temporelle sont une première pédagogie de Dieu qui est propre à l’Ancien Testament. Dieu s’adressait alors à des enfants qui étaient encore au stade de la première éducation et de la crainte du châtiment. Mais ce temps est révolu : « Nous ne sommes plus sous un pédagogue » (Ga 3, 25). « Vous n’avez pas reçu un esprit d’esclave pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait écrier : Abba ! Père ! » (Rm 8, 15, cf. Ga 4, 1-7). Dans l’Évangile, le Christ ne promet plus de royaumes temporels, mais le Royaume des cieux : « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le Royaume des Cieux est à eux » (Mt 5, 3).
TROIS SORTES DE DÎMES, LA DÎME POUR LES PAUVRES
Rappelons d’ailleurs qu’il y avait en réalité trois sortes de dîmes. La première était destinée aux prêtres. La seconde était destinée non pas au lévite, mais au fidèle qui l’offrait, et qui la mangeait lui-même au Temple avec sa famille (cf. Dt 14, 22-23), et la troisième était destinée aux pauvres (cf. Dt 14, 28-29).
Si quelqu’un aujourd’hui veut continuer à donner un dixième de son salaire comme offrande volontaire pour le Seigneur, il peut tout à fait la donner à des pauvres.
En effet, comme l’affirme saint Thomas d’Aquin, dans la Nouvelle Alliance, c’est cette dîme pour les pauvres qui doit être surtout développée et amplifiée : « La troisième sorte de dîmes, celle qu’on devrait manger avec les pauvres, doit prendre plus de place dans l’Église. Car le Seigneur ordonne non seulement de donner la dixième partie, mais tout son superflu aux pauvres, selon Luc (11, 41) : « Ce qui reste, donnez-le en aumône. » - Quant aux dîmes qu’on remet aux ministres de l’Église, eux-mêmes doivent les distribuer aux pauvres » (Somme théologique, II-II, q. 87, a. 1, ad 4).
Frère Thibault (contributeur)