LE CHIFFRE 40 DANS LA BIBLE, ÉPREUVE DE L’HOMME ET RÉVÉLATION DE DIEU
Dans ces différents passages de la Bible, le chiffre quarante renvoie à un temps d’épreuve. Dieu éprouve l’homme afin de le faire entrer dans un nouveau rapport avec lui. En effet, au terme du déluge, la création a été entièrement renouvelée et Noé a fait une nouvelle alliance avec Dieu (Gn 9, 9) ; au terme des quarante ans dans le désert, le peuple d’Israël est entré en terre promise ; au terme de sa marche dans le désert Elie a reçu une nouvelle révélation de Dieu qui s’est dévoilé à lui sur la montagne à travers une brise légère (1 R 19, 12).
Quant à Jésus, au terme des quarante jours dans le désert, il a commencé à annoncer que le règne de Dieu était tout proche, et à révéler la présence inédite de Dieu au milieu des hommes (Mt 4, 17).
De la même manière, les quarante jours du carême ne sont pas seulement un temps d’effort durant lequel nous cherchons à nous améliorer, mais ils sont un temps d’épreuve divine durant lequel Dieu nous prépare comme un Père à accueillir une nouvelle révélation et à entrer dans une nouvelle alliance avec lui. Dieu nous conduit au-delà de nous-mêmes, comme un enfant pour nous ouvrir à quelque chose de nouveau, de la même manière qu’il l’avait fait pour son peuple au désert : « Le Seigneur ton Dieu te soutenait comme un homme soutient son fils tout au long de la route » (Dt 1, 31).
40 ANS POUR DÉCOUVRIR LA COLÈRE DE DIEU
D’après l’Écriture, les quarante années d’Israël dans le désert se sont achevés par une révélation très particulière, celle de la « colère de Dieu » : « Quarante ans cette race m’a dégoûté, et je dis : Peuple égaré de cœur, ces gens-là n’ont pas connu mes voies ; alors j’ai juré dans ma colère, jamais ils n’entreront dans mon repos » (Ps 94, 10-11). Le chiffre quarante dans la Bible renvoie donc à un temps d’épreuve très particulier qui aboutit à la « colère de Dieu ». La Bible s’exprime comme si Dieu et l’homme s’était éprouvés mutuellement. D’une part Dieu a éprouvé l’homme en lui ayant demandé de se laisser conduire comme un enfant, et d’autre part, l’homme a éprouvé Dieu son Père en refusant de reconnaître ses bienfaits, jusqu’à le faire entrer en colère : « Vos pères m’ont éprouvé et tenté alors qu’ils avaient vu mes actions » (Ps 94, 8-9).
Il faut bien comprendre le sens de la « colère de Dieu ». Nous ne nous mettons en colère qu’à l’égard de ce qui nous touche, c’est pourquoi parler de la « colère de Dieu » c’est encore parler de son cœur, et plus précisément de son « cœur blessé ». De fait, nous ne nous mettons en colère que lorsque quelque chose ou quelqu’un à qui nous attachons beaucoup d’importance a été abimé et que cela nous blesse. L’Écriture dit que Dieu se met en colère parce que l’homme qu’il aime infiniment est en train de s’abimer.
Généralement, nos colères nous trahissent, car à travers elles nous dévoilons ce à quoi nous tenons le plus. Ainsi, en se mettant en colère, Dieu se trahit en quelque sorte, il laisse voir combien il tient à nous.
LA COLÈRE ET L’AMOUR DE DIEU
Les quarante ans dans le désert n’ont donc pas seulement été donnés au peuple d’Israël pour qu’il s’humilie et se rectifie, mais plus profondément encore pour qu’il découvre la « colère de Dieu », la colère de celui qui l’aime infiniment et qui ne supporte pas qu’il s’abime. Si Dieu se « met en colère », c’est qu’il tient encore à l’homme et que malgré tout ce qui a pu se passer, il lui reste infiniment attaché. Vis-à-vis de quelqu’un qui ne nous intéresse plus, nous ne nous mettons pas en colère, mais nous éprouvons plutôt un sentiment d’indifférence. Dieu est en colère, cela veut dire qu’il ne parvient pas à être indifférent à notre égard.
Un autre passage de l’Écriture affirme effectivement que si Dieu a dit « Alors j’ai juré dans ma colère, jamais ils n’entreront dans mon repos » (Ps 94, 10-11), c’est que tout n’est pas perdu. Si Dieu est en colère au bout de quarante ans, cela veut dire qu’il cherche encore l’homme et qu’il tient à lui : « La promesse d’entrer dans son repos reste en vigueur » (He 4, 1). La colère n’est pas la même chose que la haine.
La haine implique un rejet et une prise de distance, tandis que la colère exprime une blessure qui devient comme insupportable. La colère de Dieu renvoie à son attachement extrême à notre égard. De même que les quarante ans dans le désert, les quarante jours du carême sont un temps qui nous est donné pour découvrir la « colère de Dieu », c’est-à-dire l’amour de Celui qui ne supporte pas que nous nous éloignons de lui.
Ce langage imagé cache un mystère. Il ne faut pas le prendre au pied de la lettre comme si Dieu avait éprouvé de la fatigue et du dégout durant les quarante ans d’Israël dans le désert et qu’il serait entré en colère. La Bible veut plutôt nous faire comprendre que durant cette période de quarante ans – et pour nous de quarante jours – Dieu s’approche de l’homme jusqu’à l’extrême et lui révèle son cœur blessé. Lorsqu’il est dit que Dieu lui-même a été éprouvé jusqu’à l’écœurement et la colère, cela signifie que Dieu a donné la possibilité au peuple d’Israël à travers ce long temps dans le désert, de découvrir combien Dieu s’était approché de lui malgré ses refus, jusqu’à lui dévoiler son amour et son attachement excessif.
L’AMOUR INFATIGABLE DE DIEU
Au terme des quarante ans dans le désert, juste avant l’entrée du peuple d’Israël en terre promise, Dieu redit effectivement à son peuple son amour infatigable pour lui. Ce n’est pas en raison de la noblesse ou de la grandeur d’Israël que Dieu continue de s’attacher à lui, mais uniquement en raison de son amour incompréhensible qui ne diminue jamais, quelles que soient les fautes d’Israël : « Si Dieu s'est attaché à vous et vous a choisis, ce n'est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples : car vous êtes le moins nombreux d'entre tous les peuples.
Mais c'est par amour pour vous et pour garder le serment juré à vos pères » (Dt 7, 7-8). Ce n’est pas à cause de ses bonnes actions que Dieu a voulu faire entrer Israël en terre promise, mais à cause de son amour inconditionnel : « Ce n'est pas en raison de ta juste conduite ni de la droiture de ton cœur que tu entres en possession de leur pays » (Dt 9, 6).
Tout au long des quarante jours du carême, Dieu veut nous faire revivre l’expérience qu’Israël a fait de l’amour inconditionnel de Dieu au désert. Certes le temps du carême est un temps de pénitence durant lequel nous sommes mis devant nos limites. Cependant, Dieu ne veut pas seulement nous humilier et nous faire toucher nos limites, il veut surtout que nous découvrions son amour que rien ne peut arrêter quelles que soient nos limites ou nos faiblesses. Le temps du carême n’est pas seulement un temps d’effort ou de « travail sur nous-mêmes », mais avant toutes choses un temps de révélation de la fidélité de Dieu. Cette révélation éclate lors de la fête de Pâques, durant laquelle Dieu manifeste à l’homme qu’il vient le rechercher jusque dans sa mort et son péché.
Dans cette perspective, nous devons vivre le carême non pas seulement en faisant des efforts, mais en suppliant Dieu chaque jour de nous laisser saisir par son amour éternel que rien ne peut atténuer. La voix éternelle et actuelle de Dieu se fait entendre pour nous : « De nouveau Dieu fixe un jour, un aujourd'hui, disant en David, après si longtemps : Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos cœurs… comme au jours de tentations dans le désert, quand vos pères m’ont éprouvé et tenté » (He 4, 7 ; Ps 94, 8). Chaque jour du carême doit être vécu comme « l’aujourd’hui de Dieu » durant lequel nous réentendons son amour actuel et éternel.
Frère Thibault